journal en commun - Été 2025 / N°12

Gérard Hénault, Nadège Arnault, quels sont vos parcours d’élus locaux ? Nadège Arnault : Au bout de 20 ans comme secrétaire de maire, j’ai eu envie de passer de l’autre côté de la barrière en devenant conseillère municipale en 2001, puis maire en 2005. Je suis devenue conseillère départementale en 2004, puis présidente en 2023. Gérard Hénault : Instituteur de métier, j’ai toujours aimé la politique. En 1993, j’ai voulu voir. J’ai été élu au conseil municipal de Ferrière-Larçon, puis je me suis retrouvé maire par la volonté de mes colistiers. En 2004, j’ai été élu conseiller général du canton du Grand-Pressigny. Je suis devenu président de la Communauté de Communes de la Touraine du Sud en 2008, puis de la Communauté de Communes Loches Sud Touraine en 2017 au moment de la fusion des quatre intercommunalités. Qu’est-ce qui a changé, en 30 ans, dans la vie d’un élu ? N.A : Le respect de l’élu, chez les jeunes notamment. Les gens pensent aussi qu’on peut tout solutionner. G.H : Il faudrait en effet pouvoir tout faire alors que les pouvoirs d’un maire sont relativement réduits. Notre levier fiscal est devenu microscopique. Autre changement : il est plus difficile de constituer des équipes municipales aujourd’hui qu’il y a 30 ans. En tant qu’élu local, vous sentez-vous à l’abri du « tous pourris » ? N.A : Le département est encore une collectivité de proximité qui aide les communes et le monde associatif ; en Indre-et-Loire, nous avons des Maisons de la Solidarité un peu partout. Je pense que la collectivité doit parler franchement, dire les choses et se réconcilier avec ses électeurs : si on leur donne l’information, les habitants sont capables de comprendre. G.H : Sur 36 000 maires en France, l’un d’eux dérape de temps en temps, mais c’est de moins en moins le cas, et dans des communes plus vastes et/ou plus riches. Le maire d’une petite commune travaille quasi bénévolement et est multi-tâches. Le burn-out des maires, vous en avez fait l’expérience ? N.A : J’ai connu des situations récurrentes de conflits à régler entre habitants, mais je n’ai jamais pensé à quitter mon poste. Quand on est élu, on a un devoir, on respecte l’électeur. Je parlerais plutôt de frustration et de lassitude. Au département, par exemple, on gère les dépenses sociales, mais on ne maîtrise rien : on applique des règles. Mais je ne suis pas pessimiste de nature : on va se relever, innover et s’adapter. G.H : J’ai connu des moments difficiles qui m’ont endurci. Quand on arrive en responsabilité, on n’a aucune formation, or cela peut être violent. Je plaisante à moitié, car je souffre de voir des élus qui se trouvent plongés dans des choses abominables, où leur honnêteté est mise en cause. N.A : Moi, je fais toujours la distinction entre le privé et la fonction. On peut m’attaquer en tant qu’élue, mais je le dissocie toujours de ma personne. La politique, même à l’échelon local, peut-elle devenir une addiction ? G.H : Ce sont des moments de bonheur, quand on mène par exemple une opération à son terme : une caserne de pompier, une crèche, une maison médicale. Après, on est rappelé à la modestie permanente car pour une opération réussie, combien doivent repartir de zéro ? Mais ce qui est le plus fort, c’est de réussir à sortir quelqu’un de la détresse. Là, on se dit qu’on sert à quelque chose. N.A : Je confirme. Notre récompense, c’est un sourire, un bonjour. Un équipement – un réseau d’assainissement collectif, des logements sociaux, la redéfinition d’un centre-bourg – apporte de la satisfaction, mais le plus grand retour, c’est quand on ne vous ignore pas quand vous croisez quelqu’un que vous avez aidé. Maire ou président de département, le plus grand défi n’est-il pas de gérer son conseil municipal… ou sa majorité ? N.A : On a droit à un joker (sourire) ? Évidemment que c’est dur. Personnellement, je me suis donné comme objectif de conserver une majorité unie et de l’emmener à la victoire en 2028. G.H : Moi, j’évolue dans deux mondes différents : en tant que maire, j’anime une équipe municipale bien loin du monde politique ; à l’intercommunalité, j’ai affaire à des agents qui sont de vrais pros, et des maires – 67 en l’occurrence – extrêmement rodés. Il faut jongler entre les deux. Est-il plus difficile aujourd’hui de trouver des habitants qui s’engagent ? G.H : La tâche leur paraît en effet de plus en plus lourde parce qu’il devient plus compliqué de tout concilier. Autrefois, les conseils municipaux étaient majoritairement composés de messieurs un peu assis dans la vie. Aujourd’hui la parité et le rajeunissement des élus, qui est sans doute une excellente chose, ne les simplifient pas : les jeunes parents qui travaillent, si on leur demande en plus une présence active à la commune, on risque d’avoir des difficultés. Il y aura toujours quelqu’un qui lèvera le doigt pour être maire ; en revanche, pour les équipes municipales, je suis plus inquiet. Verra-t-on des gens compétents, disponibles et capables de s’investir dans la durée ? Un mandat d’élu, c’est 6 ans, il faut durer dans le temps. N.A : Une équipe municipale doit être pluridisciplinaire, avec des retraités, des actifs, des jeunes, avec des compétences différentes. Pour être élu, faut-il avoir fait de longues études ? G.H : Non, évidemment ! S’il y a le cœur, le reste suit. N.A : Oui, on peut avoir avec soi des personnes hautement formées… G.H (il coupe) : … mais hautement catastrophiques (sourires) ! Même avec des règlementations qui se complexifient ? N.A : Un élu ne sait jamais tout et en plus, tout est en constante évolution. D’ailleurs, la dématérialisation qui a simplifié les tâches répétitives n’a pas amélioré l’information, car on passe à côté de certaines… G.H : Aujourd’hui, avec la dématérialisation, je serais incapable en tant que maire de remplacer quelques jours la secrétaire générale de mairie qui dispose d’un outil informatique à son usage exclusif, ce qui empêche un peu l’élu d’avoir les mains dans la pâte… Ne faudrait-il pas avoir moins d’élus, mais des élus « professionnels » ? G.H : Non, mais il faudrait avoir un vrai statut de l’élu en France, avec des garde-fous qui permettent l’exercice d’un mandat dans des fonctions optimales et un retour à la vie civile plus facile. En Allemagne, les indemnités sont plus élevées et il existe des formations pour revenir dans la vie professionnelle afin d’éviter le cumul des casquettes et les carrières politiques qui s’étirent. Bon, avec 30 ans de mandats, je ferais mieux de me taire (sourire), mais le statut de l’élu en France n’est pas d’une clarté totale. Pour être élu local, faut-il des compétences non négociables ? N.A : Si vous n’aimez pas les gens, si vous n’avez pas d’appétence pour le service public, il ne faut pas y aller. Après, les responsabilités d’un maire, qu’on ne maîtrise pas toujours, peuvent faire peur : être maire, c’est être responsable 7/7 jours. on en cause ? en commun • été 2025 17

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